Voyage au Labrador août 1992

Il est 11h 30. Le Boeing 737 vient de toucher la piste de Kuujjuak (anciennement Fort-Chimo), tout au fond de la baie d'Ungava. Nous avons décollé de l'aéroport de Dorval à 9 h 30. Il n'y a que 9°C ici, et pourtant ce matin, dans l'attente de l'embarquement, nous avons eu bien chaud à Montréal. Le plafond est trop bas pour l'hydravion qui doit nous déposer dans le fjord Nachvak, 350 km plus à l'est. Nous sommes cinq : trois québecquoises acharnées de montagnes, notre guide Daniel et moi-même, seul français. L'attente dure 48 heures. Nous en profitons pour visiter l'agglomération inuite, son église, son hôpital et sa station météo. Nous remarquons avec étonnement que l'activité du petit aéroport est lié en grande partie aux arrivées et départs de nombreux américains venus pour quelques jours chasser le caribou dans la toundra ou pêcher dans la baie d'Ungava. Ces deux jours me seront bien utiles pour me familiariser avec le vocabulaire de mes compagnons et surtout leur accent très prononcé qui provoquera, au début, quelques quiproquos bien risibles.

13 août

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Le départ, enfin, qui va nous libérer des nuées de moustiques de Kuujjuak et, surtout, nous permettre d'atteindre le but ultime de notre voyage, à 300 km de l'agglomération la plus proche....
Nous contemplons l'Otter quittant la berge du fjord et s'éloigner pour prendre l'air. Nous regardons avec un petit serrement de coeur s'évanouir notre dernier lien avec la civilisation.

arrivée en hydravion
Nous venons d'être déposés dans les Monts Torngat
les caribous, nos compagnons de tous les instants
Les caribous, nos compagnons de tous les instants. Derrière eux, on voit le fjord Nachvak

Nous avons été déposés à 30 km de la mer du Labrador que nous apercevons très bien en prenant un peu de hauteur. Un petit iceberg vient de temps à autre agrémenter l'entrée du fjord pendant quelques heures.

14 août : Journée consacrée au transport de l'ensemble des bagages du lieu de débarquement jusqu'au camp n°1 dans le delta du Mac Cormick River. Nous devons gravir une colline de quelques centaines de mètres; du sommet, la vue d'ensemble sur le fjord est splendide. Les caribous, restant à bonne distance, nous regardent avec étonnement. Ils resteront toujours méfiants mais ils deviendront vite nos compagnons les plus attachants.

15 août : Notre première grande "sortie". Il nous faut veiller à maintenir nos chaussures de marche dans un parfait état. Aussi, la traversée du delta se fait en espadrilles, dans l'eau glacée jusqu'au-dessus des genoux, ce qui nous vaut quelques cris d'effroi de la part des filles. Nous marchons en direction du large, téléobjectif en bandoulière, prêt à "mitrailler" les premiers caribous à notre portée. Ceux-ci ne se font pas attendre. Les phoques non plus d'ailleurs, qui exigeront plus de patience de la part des photographes.

16 août : Départ du camp n°1. Non sans avoir enfoui sous une bonne épaisseur de grosses pierres les vivres et le carburant des réchauds. Il ne faudrait pas que l'ours vienne visiter notre garde-manger pendant notre absence. Nous serions contraints d'utiliser notre arme de défense pour nous nourrir de caribou ! Nous ne verrons aucun de ces animaux lors de notre séjour et pourtant ils nous seront toujours présents à l'esprit. Arrivée deux heures plus tard au pied du Torngatsuak. Installation du camp n°2. Après le repas, marche en direction du glacier et retour de bonne heure. Le souper prend beaucoup de temps : préparatifs, vaisselle, tisane et...histoires en tous genres. Gros pull et bonnet sont de rigueur bien sûr : les nuits sont fraîches. Vers 22 heures, le ciel est assez noir pour admirer les premières aurores boréales. Quel spectacle pour celui qui n'en avait jamais vues ! Mes compagnons sont ravis aussi car les draperies magiques sont ici plus jolies que celles que l'on peut observer dans le ciel des Laurentides, non loin de Montréal.

Inoubliables aurores boréales !
Inoubliables aurores boréales !
L'omble arctique est très apprécié
L'omble arctique est très apprécié

17 août : Marche de 7 heures en direction du fond du fjord. Retour avec le brouillard et la pluie. La préparation du souper est délicate dans l'étroite "antichambre" de l'une de nos petites tentes. Avec l'humidité qui s'ajoute au froid, je comprends à quel point la qualité du sac de couchage peut être vitale !

18 août : La pluie ne cesse que vers midi. Serrés dans une seule tente pour économiser la chaleur, nous jouons au "31". Le fjord s'éclaircit enfin en début d'après-midi. Une promenade est bien accueillie après ce repos forcé. Nous découvrons le pavot arctique, le thé du Labrador et des bolets.

19 août : Nous nous étions enfermés dans nos duvets par une nuit humide et froide. Le premier à mettre le nez hors de la tente n'a pu se retenir : "Le soleil !". A 6 h 30, tout le monde est sur le pont. Un halo riche en couleurs se dessine à l'ouest dans le brouillard résiduel du petit matin. Mais déjà la lumière bienfaisante vient caresser nos abris de toile et nous disposons notre linge moite dans l'espoir de le retrouver ce soir bien sec. Les appareils photographiques ressortent des sacs et nous partons en direction du glacier. Au retour, nous replions et redescendons au camp n°1. C'est une très belle journée qui s'achève par une soirée claire et froide. Nous admirons les aurores boréales et prenons quelques photos.

20 août : Journée "off". Temps splendide. Lessive et toilette générale ! Assis sur une hauteur, face à l'entrée du fjord, je complète mon journal qui avait pris quelque retard. J'aperçois Daniel qui s'éloigne avec sa canne à pêche. Un peu plus tard, il m'appelle à la rescousse : il est "aux prises avec un omble arctique de 3 livres (canadiennes, soit environ 1,2 kg) qui a cassé le fil et qui se débat entre les rochers. Ce soir là, nous nous régalons autour de la braise ! Nous brûlons soigneusement les restes afin de ne pas attirer l'ours.

21 août : Dure journée en perspective. Nous allons établir le camp n°3, pour quelques jours, bien plus haut dans la vallée du Mac Cormick River. Nous partons bien chargés et il fait chaud. Nous observons des petits bouquets de silène, des gentianes bleues, jolies mais très petites. Après-midi, nous allons nous rafraîchir auprès d'une magnifique cascade.

lac du cirque Mountain
Lac du cirque Mountain
Jeu matinal des caribous dans le delta du Mac Cormick
Jeu matinal des caribous dans le delta du Mac Cormick

22 août : Ballade vers un grand lac au creux du Cirque Mountain. Nous rencontrons la camarine et des champs de bleuets, mets apprécié des ours. Les minéraux en solution dans l'eau du lac lui donne un bleu exceptionnel.

23 août : Nous partons vers 8 heures, notre but est l'approche du Mont Iberville, sommet des Torngat. En route, nous rencontrons autour d'une cascade, de très jolies pierres grenat semi-transparentes; je regrette mon ignorance concernant la nature des roches. Plus tard, le plafond s'abaisse et quelques flocons voltigent. Nous sommes loin du campement et nous décidons de faire demi-tour.

24 août : Il fait gris et il tombe une pluie très fine. Les sommets se sont recouverts d'une fine couche de neige cette nuit. Nous plions les tentes humides pour rejoindre le camp n°1.

25 août : Le jour précédent n'a pas été trop fatigant. Daniel m'avait dit : "Si tu as le courage de te lever de bonne heure, il faut aller admirer le lever du soleil dans l'embouchure du fjord. Tu ne regretteras pas". A 4 h 30, je me suis glissé silencieusement hors de la tente, et je me suis éloigné vers une hauteur. Et je n'ai pas regretté ! Ravi du spectacle grandiose, je suis venu préparer le café à mes compagnons qui dormaient encore.

Lever du jour dans les Torngat
Lever du jour dans les Torngat
L'entrée du fjord Nachvak. A l'horizon, la Mer du Labrador
L'entrée du fjord Nachvak. A l'horizon, la Mer du Labrador

26 août : Nous quittons la vallée du Mac Cormick, aujourd'hui. La nuit prochaine nous dormirons à proximité du point de rendez-vous avec l'hydravion. Les uns font un premier voyage pour acheminer une partie de nos bagages. Pendant ce temps, les autres veillent à laisser l'endroit comme nous l'avions trouvé à notre arrivée. La nuit est très calme et bien claire : nous nous allongeons dehors dans nos duvets, le regard tourné vers le ciel. C'est la position idéale pour attendre l'arrivée des plus belles aurores boréales. Je me réveille un peu plus tard pour me glisser dans la tente, la tête remplie de draperies féeriques, et content aussi à l'idée du retour proche.

27 août : Lever vers 7 heures. Il faut se tenir prêts en attendant l'arrivée de l'Otter. L'attente est agrémentée par l'arrivée d'un petit troupeau de phoques tout près du point d'embarquement. Pour notre plus grand plaisir, ils ne sont guère farouches. Nous déployons l'antenne radio pour tenter d'entrer en contact avec le pilote. Sans résultat jusqu'à son arrivée à quelques dizaines de kilomètres ! Ce moyen de communication aurait-il été réellement efficace en cas d'urgence ? Le retour à Kuujjuak se fait en un peu plus de deux heures, par la vallée de la Koroc. Le plafond est en effet trop bas pour prendre l'itinéraire d'arrivée. Nous en sommes enthousiasmés puisque cela oblige notre pilote à sortir du fjord Nachvak, à longer la côte pendant un quart d'heure. La mer est très calme, le temps est particulièrement clément et il nous offre le spectacle peu ordinaire de survoler de tout près un iceberg de quelques dizaines de mètres en train de voguer tranquillement vers le sud ! A Kuujjuak, il reste assez de places pour nous dans le jet à destination de Montréal, en passant par Québec. Daniel va retrouver "sa blonde ". Quant à moi je suis ravi à l'idée de flâner une journée dans les rues de Montréal, de faire ma provision de sirop d'érable et de survoler l'Atlantique pour retrouver la France et les miens.

Encore un caribou

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